PéROU - Le futur sombre de La Oroya

Maija Susarina

mercredi 25 février 2015, mis en ligne par Dial

La Oroya, capitale de la province de Yauli, est une ville du centre de Pérou, située à 3745 mètres d’altitude, dans l’Altiplano, à 176 kms de Lima. Son histoire est liée à l’exploitation minière, et à la fonderie créée en 1922. Ce texte a été rédigé par Maija Susarina, étudiante en anthropologie à l’Université libre de Berlin et stagiaire à Communication Aliadas. durant le second semestre de 2103. Article publié par Noticias Aliadas le 18 juin 2014.


Considérée comme l’une des villes les plus polluées du monde, La Oroya dépend économiquement de l’exploitation minière qui a de graves conséquences sur la santé de la population.

Tout a débuté il y a presque cent ans, en 1922, quand la mine de La Oroya commença à être exploitée à grande échelle. Depuis lors, cette ville est marquée par une longue histoire de pollution, de fraude, d’indifférence et de manipulations. En 2012, Doe Run Pérou (DRP), l’entreprise états-unienne propriétaire de la mine depuis 1997, a ouvert à nouveau, après trois ans de silence, et relança le circuit d’exploitation du zinc, avec plus de 500 employés. Néanmoins, l’avenir de ces travailleurs, de la ville et de l’exploitation minière elle-même est toujours menacé.

Au début, la mine extrayait uniquement du plomb puis, quelque temps après, également du zinc, de l’or et de l’argent, ce qui a eu comme effet secondaire le rejet dans l’atmosphère de la ville de différentes sortes de métaux et d’acides polluants. L’entreprise était aussi la seule fonderie polymétallique du Pérou, ce qui signifiait qu’elle traitait toutes sortes de métaux, y compris certains en provenance de l’étranger.

On dit que des pays étrangers donnèrent à traiter leurs métaux, fortement polluants, à La Oroya, alors que, en raison de l’application de politiques environnementales, c’était interdit chez eux. L’exploitation des métaux, d’abord gérée par une entreprise états-unienne, nationalisée par la suite, fut achetée par DRP en 1997, pendant le gouvernement d’Alberto Fujimori (1990-2000) après avoir été privatisée en dessous de sa valeur, pour attirer l’investissement étranger au Pérou. L’entreprise commença à exploiter la mine, sous la condition d’accepter le Programme de mise aux normes de protection de l’environnement (PAMA), qui obligeait DRP à décontaminer le site pollué et à s’équiper de machines extractives neuves et respectueuses de l’environnement. Cependant, le PAMA ne fut jamais mis en œuvre. DRP demanda à trois reprises au gouvernement péruvien de différer la mise en application du programme et se déclara officiellement en faillite en 2009 laissant à l’abandon le site industriel, dont dépend l’économie de toute la ville.

DRP alla bien au delà et réclama à l’état péruvien 800 millons de dollars, en s’appuyant sur l’Accord de libre-échange que le Pérou a signé avec les états-Unis et entrée en vigueur en 2009. Ce traité place la santé économique au dessus de toutes les autres politiques et, pour cette raison, le Pérou peut faire l’objectif de poursuites étant donné que les entreprises états-uniennes doivent pouvoir opérer librement, sans aucune restriction. Le PAMA était une restriction de ce type et l’une des raisons pour lesquelles DRP ait fait faillite, du moins selon la version de l’entreprise. Des experts considèrent qu’il est fort possible que DRP gagne son procès.

Les travailleurs défendent l’entreprise

En décembre 2013, le calme était revenu et les affrontements dans les rues de la ville avaient cessé mais, il y a quelques années, la situation était très différente. Au lieu de mettre en œuvre le PAMA, DRP investit dans les relations publiques. Les communautés reçurent en cadeaux des semences et des brebis qui se révélèrent incapables de s’acclimater. Les animaux moururent dans les années qui suivirent, car ils ne s’étaient pas adaptés au climat andin et les cultures ne résistèrent pas à la pluie acide, causée par les activités minières de l’entreprise. Les enfants reçurent des cadeaux de Noël, des ateliers furent organisés, sur le thème de comment réussir en affaires ou de quelles sont les démarches à effectuer pour créer une entreprise. Le problème était que, à La Oroya, il n’y avait pas d’autre entreprise possible à part la mine. Tous ces cadeaux eurent l’effet que DRP escomptait. Quand débutèrent les problèmes avec le gouvernement, alors que le PAMA n’avait pas été appliqué, la majeure partie de la population se rassembla et défendit l’entreprise, participa à des grèves générales, à des manifestations, qui souvent dégénérèrent, contre les défenseurs de l’environnement et les organisations non gouvernementales.

Selon un habitant qui a souhaité que son identité ne soit pas révélée : « c’était comme tromper un enfant — je te donne un bonbon et tu te tiens tranquille […]. La philosophie de DRP c’est le non respect des engagements. Ces dernières années, on a conditionné la population, en la préparant au moment où on aurait besoin de son soutien. Quand DRP avait besoin que la population s’oppose à l’état, tout le monde se mobilisait et manifestait son appui à DRP. Les travailleurs, leurs femmes, tout le monde accourait ».

Mais tout le monde savait qu’à cause des activités minières, les enfants des employés et les travailleurs eux-mêmes avaient développé des maladies graves, jusqu’à des cancers. En fait, il n’y avait pas que du plomb dans l’atmosphère. On a trouvé, dans le sang de 99% des enfants et des adultes de La Oroya, d’autres agents cancérogènes, comme de l’arsenic. Nombreux sont ceux qui ont développé des maladies des poumons ou du foie, qui n’étaient en aucun cas imputables à l’alcoolisme. Plus rien ne poussait dans la région et les montagnes se couvrirent d’une poudre blanche polluante. Cpendant, pour les travailleurs, la priorité n’était pas de trouver une solution au problème de la pollution mais d’avoir un travail pour faire vivre leur famille et c’est pour cette raison qu’ils manifestèrent en faveur de l’entreprise, sans se soucier de la nature et de leur santé. Les manifestations étaient si violentes que les membres d’organisations non gouvernementales (ONG) ne sortaient pas de chez eux, par crainte d’être blessés ou même tués. Un jour, lors d’une manifestation, une personne neutre appela à l’arrêt des violences sans même critiquer à l’entreprise minière les mineurs ; elle fut traînée sur le pont par les cheveux et serait morte sans l’intervention d’une autorité religieuse de la ville qui vint à son secours. Les manifestations se sont intensifiées, particulièrement après la fermeture de DRP, après la faillite supposée de 2009, et les travailleurs des ONG, les défenseurs de l’environnement étaient constamment en danger. Il y eut des attaques, des insultes et des intimidations, y compris à l’encontre des responsables de l’administration publique. Après toutes ces années de soutien sans faille, de nombreux travailleurs ont compris que DRP n’est pas viable, non seulement du point de vue des normes environnementales, mais aussi de sa rentabilité ; que le refus d’appliquer le PAMA, la déclaration de faillite et le procès contre l’état n’étaient pas la solution et, qu’en défendant l’entreprise, ils mettaient eux-mêmes en danger leur avenir.

Maximisation des profits

En dépit de cela, les personnes qui ont travaillé pour des ONG sont marquées à vie, elles ne peuvent prétendre à aucune responsabilité, officielle ou non. La seule réponse qui leur est faite, quand elles présentent leur candidature à un emploi, c’est « vous avez travaillé dans une ONG, pour cette raison, vous ne pouvez pas travailler ici ».

En décembre 2013, la ville de La Oroya n’a pas mauvaise allure. Une grande partie du milieu naturel s’est régénéré. Quatre années de silence ont eu un impact positif sur la nature. Des plantes et des arbres ont recommencé à pousser et l’air n’est plus aussi lourd qu’avant, si l’on en croit les habitants de La Oroya. Malgré tout, on a la gorge irritée après quelques heures passée dans la ville. La cause pourrait en être la fumée qui s’échappe, la nuit, d’une des plus hautes cheminées de toute l’Amérique latine, quand il fait trop noir pour qu’elle soit visible. Les personnes interrogées, qui préfèrent garder l’anonymat, ne sont pas très optimistes. L’une d’entre elles est certaine que le PAMA ne sera jamais mis en œuvre car DRP a récupéré son investissement et a l’intention d’abandonner le site. La technologie obsolète date des années 1970 et a été peu modernisée. Seul le circuit d’exploitation du cuivre a connu quelques améliorations, mais DRP n’a avancé que de 57%, signalant qu’elle n’irait pas au delà, car l’état n’avait pas honoré sa part du contrat. Ce dernier devait prendre en charge le nettoyage du sol, mais, selon les autorités péruviennes, cela n’était pas possible tant que DRP continuait à le polluer.

Une autre personne interrogée était non seulement déçue par DRP car « c’est la manière dont les entreprises minières opèrent au Pérou », mais aussi par le gouvernement péruvien. Pour elle, l’exploitation minière durable est possible, mais pas dans un contexte de corruption, de favoritisme et d’absence absolue de respect des normes sociales et environnementales en vue de la seule maximisation des profits. Elle a ajouté que DRP tentera probablement de vendre l’usine et de se retirer, tandis que l’état essayera, une fois de plus, d’attirer à La Oroya une entreprise sans scrupule, étrangère probablement, qui acceptera à la condition expresse de ne mettre en œuvre aucune politique environnementale pour économiser de l’argent. Cette entreprise sucera le sang de la ville et des travailleurs et cessera d’opérer quand elle ne sera plus rentable [1], faisant de La Oroya une ville fantôme car, sans l’activité minière, ses habitants devront partir ailleurs. Ce qui resterait de La Oroya pourrait devenir un musée de la pollution.


  • Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3315.
  • Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
  • Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 18 juin 2014.

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